lundi 29 octobre 2007

Première partie - L'amour - chapitre 5

Le restaurant de La Rotonde était complet.

Saint-Sauveur, à une table, suçait un chocolat avec un petit bruit. Il regardait son alliance avec étonnement. Le regard mouillé des serveurs l'agaçait. Il était maintenant un client à considérer avec attention. Saint-Sauveur s'amusait de cette nouvelle honorabilité mais mourait d'envie de crier qu'il n'était pas un homme marié.

"Cela me soulagerait bien un peu", pensait il.

Il fit un petit geste et le garçon apporta une autre consommation. Saint-Sauveur se mit à boire avec horreur. Il détestait rester dans un tel endroit avec les mains vides.

La foule qui se pressait dans ce restaurant était celle des employés de midi. Ils ne se pressaient pas, peu intéressés par l'idée de retourner au bureau. Ils se haïssaient avec une touchante douceur, des prévenances d'amants inquiets.

Saint-Sauveur attendait Edgar Fauret.

Ils se voyaient depuis deux mois et parlaient de politique. L'avocat appartenait à l'Union pour une Majorité Plombée (UMP), le parti de droite qui gagnerait sans doute les prochaines élections.

Il travaillait à ramener Saint-sauveur dans son camp. Afin d'arriver à ses fins, Fauret savait qu'il devait faire miroiter au scientifique une victoire facile. Celui-ci, en effet, ne voulait sans doute pas d'un rude combat. Il fallait lui trouver une circonscription facile, moutonnière - Dieu sait qu'il n'en manquait pas sur le territoire. Edgar, qui se présentait à Paris, voulait un proche de l'Académie avec lui. Il lui fallait quelqu'un qui ait de l'allure mais qu'il puisse aussi manipuler. Son beau-père, gouverné par sa femme, ne remplirait certainement pas cet emploi. Saint-Sauveur ferait un bon député : on pourrait le charger de scandales et le faire sauter à la première occasion. Il avait aussi une belle femme, ce qui faisait souffrir cruellement Edgar qui était laid.

Le politicien arriva dans le restaurant avec un retard savamment calculé.

Retenu au Palais…dit-il dans un souffle.

Bon, ce n'est pas grave, répondit Saint-Sauveur.

Et cette politique ?

Franchement, je ne sais pas si je suis intéressé.

Tu pourras faire changer les choses, lança Fauret. Bien sur pas trop vite ! Il ne faut pas vouloir tout reconstruire en une seule fois. Je suis sur que cet emploi t'ira à merveille. Tu n'es pas du sérail politique, tu es un savant. Cela a son charme, comme les maître nageuses. Je suis certain que tu pourras faire tes petites affaires tranquillement dans ta circonscription. Et puis, un jour, tu seras peut être ministre. Tu appartiens déjà à un ordre, celui de la science et de l'Académie, entre dans celui de la politique. Tu y seras neuf, tu y seras respecté. Je crois que tu pourras t'y réaliser pleinement.

Je n'en suis pas sûr.

Fais-moi confiance. C'est un monde extrêmement stimulant pour un esprit intellectuel. Tu te découvriras une passion, et puis manier le peuple…c'est si grisant ! Edgar, qui s'était laisse emporter, se reprit sur ce dernier mot malheureux. Gouverner, je veux dire, et Dieu sait que pour moi le gouvernement du peuple est une chose sacrée. Le peuple est tout, nous ne sommes rien.

Sur ce, Edgar Fauret commanda un demi car il ne fallait pas trop en faire non plus. Saint-Sauveur trouva qu'il en faisait quand même un peu trop.

En tous cas, reprit Edgar, n'hésite pas à venir à l'un de nos meetings. Tu seras toujours le bienvenu. J'ai parlé de toi à toute mon équipe électorale. Ils meurent d'envie de te rencontrer, viens juste une fois, pour discuter. Ca ne t'engage en rien.

Et que dit le père Louche de ta candidature ?

Oh rien ! Il s'occupe surtout d'agrégations, en fait. Sa femme pense que je devrais me consacrer à mes procès, mais si je gagne elle sera la première à venir me faire sa petite cour. Elle ne m'aime pas, de toutes façons. Elle ne s'occupe que de protéger son mari. Crois-tu vraiment que je puisse vouloir du mal à cet homme ? Et puis je suis l'ama.. ami de sa fille. Les mères sont jalouses comme des poules. Elle ne peut pas me supporter parce que je vais leur voler la petite. Au XXIième siècle ! Hou hou ! Les obscurantistes ! Je crois qu'au contraire la petite adore la politique. C'est la seule chose qui la tire de l'ennui.

Ca promet.

C'est ce que je pense aussi.

Estelle aussi te verrait bien en politique, reprit Fauret avec sérieux. Elle dit que tu as du charisme. Les hommes politique d'aujourd'hui en sont dépourvus. Tu trouveras bien ta place. C'est elle qui m'a mis la puce à l'oreille, si je puis dire, je t'ai observé et je dois dire que je lui donne raison.

Vraiment ?

Oui, enfin, elle ne t'a jamais rencontré personnellement, mais il y a des photos dans les journaux. Estelle est une fille qui a l'--il pour ça. Elle ne sait pas faire grand'chose mais elle a parfois de bons conseils.Je ne sais pas si je dois te dire ça, mais son père est très soucieux pour elle. Oh, ne t'encombre pas de tout ça, si nous devons travailler ensemble au Renouveau, nous devons nous parler franchement. Monsieur Louche m'apprécie, car il sait ce que je vaux. Je travaille, enfin, on me confie de grosses affaires. J'aime sa fille et elle m'aime. Elle est beaucoup plus jeune que moi. Cela ne me dérange pas. En revanche, comme je te l'ai déjà dit, la mère me déteste. Voilà, tu es fixé. Ne crois pas ce qu'elle vous dira sur moi, c'est une vieille sorcière. Enfin..heu…

J'ai compris.

De toutes façons, nous nous verrons bientôt tous, les Louche, ta femme et toi.

Oui, ça fera plaisir à Delphine.

Elle est journaliste, m'a t on dit.

Oui.

Te voilà paré contre bien des désagréments. Vraiment mon vieux, engage-toi ! Rengage- toi, même ! Avec une journaliste dans la poche ! Dis donc, tu ne veux pas qu'on la gagne pour toi, cette circonscription ?

Et elle se trouve où ?

L'avocat réprima un sourire.

Il lui semblait qu'il avait enfin ferré sa proie. Au début, les réticences de Saint-Sauveur lui paraissaient incompréhensibles. L'avocat eut soudain l'éclair de génie que le moyen d'obtenir cet homme était l'ennui. Si on lui proposait quelque chose, il finirait par accepter pour s'en débarrasser. Il comprenait maintenant que le président n'avait pas menti lorsqu'il disait que Saint-Sauveur se moquait des honneurs. L'avocat commanda deux cafés, respira, croisa les bras sur la table et se mit à parler d'une voie faussement calme.

Aveyron.

Wouaoh ! Le gros lot quoi !

Sud du Massif Central. Merveilleux endroit pour faire du cheval. Le député est un ancien. Il te fera de la place.

Tu le lui as déjà demandé ?

Oui.

Et bien, tu ne perds pas ton temps !

Je savais que je pouvais compter sur toi.

Dis donc…

Je sais. Tu n'as pas encore fait ton choix. Je voulais dire que je pouvais compter sur toi si tu nous rejoins. J'espère que tu le feras.

Tu m'intéresses, mais je ne veux pas te dire n'importe quoi.

Prends ton temps. Mais penses-y, les élections sont dans quelques mois et il faudra te rendre dans votre circonscription pour y motiver les troupes. Je te ferai savoir tout ça. Deux heures et demie, bon je file. Nous nous verrons bientôt en tous cas, chez le président Louche.

Sans aucun doute.

A bientôt.

Oui, à bientôt.