dimanche 9 décembre 2007

Première partie - L'amour - chapitre 6

Delphine tournait en rond dans l'appartement. Elle y attendait son mari.

Il passait maintenant son temps dans les soirées politiques. Delphine regardait avec étonnement son mari se faire à ce milieu. Il en avait même adopté le détestable jargon et le goût pour les cravates mal assorties aux costumes. Saint-Sauveur fréquentait beaucoup Edgar Fauret. Delphine le trouvait amusant, laid, mais promis à de belles conquêtes car les femmes pardonnent tout aux hommes qui ont du pouvoir.

Delphine, par son métier de journaliste, suivait la préparation de la campagne électorale dans les deux camps. Elle espérait que son mari allait se décider à entrer dans l'arène. Elle alluma une autre cigarette et regarda les passants par la fenêtre. Que de vies dans la ville ! Elle eut un frisson et fît retomber mollement le rideau.

On frappa à la porte.

C'était Edgar Fauret.

Surprise, elle le vit entrer plein de prévenances. Delphine fut étonnée. Elle croyait son mari avec lui. Elle prit cependant le parti de ne rien demander et servit un whisky.

Fauret parlait de choses et d'autres et ne se pressait pas pour en venir à l'essentiel.

Il faut que vous convainquiez votre mari de nous rejoindre, lâcha-t-il enfin.

Moi ?

Vous. Il lui lança un regard lubrique et sourit : vous êtes sa femme. Vous avez du pouvoir sur lui.

Je ne suis pas la femme du président et mon mari n'est pas comme ce dernier. Changez vos fiches.

Excusez moi d'avoir été brusque. Je fais appel à vous comme à une amie.

J'en suis flattée, dit-elle dans un haussement de cils. Je n'ai pas le bonheur de vous compter encore parmi mes amis.

Je crois vraiment que votre mari à un avenir dans la politique.

Vous devriez l'empêcher d'entrer dans la course, non ? C'est comme ça que le système marche.

C'est que…

C'est que vous avez besoin de quelqu'un. Vous croyez que mon mari aura la tête tournée au premier succès et que vous en ferez ce que vous voudrez. Et vous venez me voir en privé pour me demander salement d'entrer dans vos combinaisons. Vous faites un odieux petit bonhomme. Je commence à comprendre madame Louche.

Vous voulez que je parte ?

Non, restez. Parlez moi de l'avenir politique de mon mari.

Dans trois mois il y aura les législatives. Il peut être élu sous l'étiquette conservatrice dans une circonscription de Province. Je ne crois pas que la Gauche puisse gagner. C'est un canton de paysans. Pas de grands propriétaires. Aucune tradition de Gauche. Enfin, s'il se débrouille bien, il peut être élu. Je crois que notre parti a besoin d'intellectuels et de scientifiques. Cela nous donnera une meilleure image.

C'est vrai qu'elle n'est pas fameuse.

On nous calomnie sans savoir. Lorsque un juge rend un jugement favorable, on n'en parle pas.

Par contre les mises en accusations, excusez moi mais on fait la une des journaux.

C'est d'ailleurs bien amusant !

Pour vous, oui. Une journaliste doit bien ricaner.

En effet. J'ai un très beau ricanement.

Si votre mari se présente, nous aurons peut être droit à une ou deux colonnes ?

Vous allez vite en besogne !

Vous m'avez l'air sympathique.

Et il ne manque pas de toupet, quel cadeau !

Je crois juste que vous pouvez nous aider. Votre mari est plus convaincu qu'il ne veut le dire, et vous ne voulez pas qu'il aille droit à l'échec ? Un scientifique qui veut jouer les hommes politiques et se ramasse dans le mur, ça a de quoi allécher les gazettes. Je suis sûr que Saint-Sauveur se présentera, mais je ne veux pas le brusquer. Il est allé ce soir à une réunion du parti, dont il n'est d'ailleurs pas encore membre. Vous voyez qu'il est un peu de la famille maintenant. Il prépare minutieusement sa campagne. Le député qu'il va remplacer m'a même appelé pour me dire que votre mari l'avait contacté et lui avait demandé des éclaircissements sur certains dossiers. Vous voyez, dit-il avec un air de triomphe ! Comme il est susceptible, je veux qu'il me dise ça lui-même. Je ne veux pas lui ôter ce plaisir. Vous seriez un ange de ne pas lui parler de moi.

Comptez là-dessus !

Bon, je file. Voici ma carte. N'hésitez pas à venir me voir pour cette histoire d'articles de journaux. Bonne soirée.

Je…

Comme elle se raidissait dans son fauteuil, prête à lancer une attaque, elle entendit le bruit de la porte d'entrée.

Elle était seule.

Elle fut charmé de ce départ brusque et malpoli quelle n'aurait pas pardonné chez un autre que Fauret. Elle commençait à apprécier le petit homme, même si elle aurait préféré mourir que de l'avouer à qui que ce soit. Elle ne pouvait cependant s'empêcher de rire de ses histoires avec Estelle.

Elle alluma une autre cigarette.

Elle voulut calmer ses nerfs, mais n'y arriva pas. En fait, il n'y avait rien a jeter dans cette aventure politique. Au contraire, elle pouvait y gagner gros. Son mari élu, elle aurait une meilleure place dans les couloirs du journal. Elle pourrait bénéficier de l'appui des vieux qui comptaient de nombreux amis au Palais-Bourbon. Elle s'enfonça mollement dans le fauteuil, perdue dans ses pensées de carrière. Fauret disait que l'élection serait une formalité. Tant mieux, on gagnerait du temps. Les électeurs ne s'intéressaient pas du tout au débat politique et Delphine ne savait même pas le nom de l'adversaire de son mari. Il faudrait ensuite faire savoir de partout que Saint-Sauveur venait d'être élu député. Il y aurait beaucoup de réceptions. On y parlerait gravement. Delphine aimait cela. Elle pensa que son mari n'allait pas tarder et qu'il faudrait lui en parler. Elle écartait de sa pensée l'idée même qu'Edgar Fauret ait pu influencer sa décision de jeter son mari dans la politique. Il avait été le déclencheur, simplement. Elle aussi, comme Saint-Sauveir, pensait à ces affaires de politiques sous un jour beaucoup plus favorable que ses habitudes de parisienne faussement détachée de tout voulaient bien laisser voir. Il lui semblait impossible que son mari refuse de se présenter. Elle lui en parlerait dès son retour. Elle savait qu'il y avait des arguments auxquels les hommes ne résistaient pas. Elle alla donc passer une nuisette.

La porte d'entrée claqua à nouveau et Saint-Sauveur entra peu après dans le salon où il découvrit sa femme, en nuisette, qui lisait les pages politiques du Monde.

J'ai croisé Fauret en bas de l'immeuble, dit Saint-Sauveur.

Ah oui ?

Je t'ennuie ?

Je lis des nouvelles politiques importantes. Je me soucie de ton avenir.

Fauret t'a catéchisé ?

J'en ai bien besoin, tiens ! Ce que tu peux être bête.

Jolie nuisette, en tous cas.

Elle s'approcha de lui qui s'était assis dans un fauteuil, servi un whisky, et s'assit sur ses genoux.

Mon chat…

Oui,

Tu vas te présenter à cette élection.

C'est un ordre ?

Embrasse moi.

Elle se laissa faire une seconde puis, sérieuse, rejeta la tête en arrière.

Tu es très lié avec Fauret.

Oui. Je crois que je vais m'inscrire au parti. C'est nécessaire si je veux me présenter à cette maudite élection. Je crois qu'ils vont tous me détester bien fort. Je me suis fait des ennemis dès la première réunion. Tu penses, il y en avait un paquet qui l'attendait, cette circonscription.

Il faudra faire face à tous ces jeunes et vieux cons.

Ca fait du monde.

Oui. J'ai même rencontré un de tes anciens amis des Sciences-Politiques.

Qui ça ?

Sais plus. Un garçon intelligent, mais si fatigant ! Je sens qu'il va falloir que je m'habitue à
sourire en écoutant des bêtises.

Voilà le premier commandement de ton nouveau métier.

Et les autres ne sont pas jolis à voir !

Je le pense bien.