dimanche 5 août 2007

Première partie - L'amour - chapitre 3

Résumé de l'action : dans le chapitre 1, le héros du roman est invité à une cérémonie de l'Académie des Sciences où il est décoré. Introduit auprès de personnalités politiques, on lui propose un rendez-vous chez le Président Louche afin de préparer le lancement de sa carrière politique. Dans le chapitre 2, on assiste à la discussion entre le Président Louche et sa femme qui passent en revue tous les petits arrangements du monde politique parisien. Le chapitre 3 est celui de l'entrée d'Estelle Louche, la fille du couple présidentiel, qui ne satisfait pas de l'ordre qui règne à Paris....

***

A cette même heure, Estelle Louche était elle aussi assise sur le rebord d'un lit, son soutien-gorge replié sur ses jambes maigres. Le tissu du sous vêtement dessinait une forme sombre sur sa chaire pâle. Elle portait toujours de ces sous-vêtements de dentelles aux tons criards qui juraient sur son petit corps si peu façonné pour le plaisir.

Le lit, mauvais et défait, pliait lâchement sous le poids de la jeune fille. Il esquivait cette forme humaine, voulait la laisser à elle même, perdue au milieu des draps. Il refusait de porter ce corps trop léger. Un cadavre sur une plage aurait eu l'air moins seul.

Estelle louche regardait Edgar Fauret qui se rhabillait en vitesse dans un coin de la pièce. Il était pressé, comme d'habitude. La petite chambre d'hôtel se révélait médiocre à souhait. Estelle aimait à se vautrer dans cette facilité et cette ordure.

Elle restait nue par goût de la provocation envers son amant et futur mari qui nouait maladroitement sa cravate sur sa chemise salie au col par des taches de transpiration.

Estelle avait un corps frêle, des épaules voûtées. Elle aimait à maintenir cet aspect d'abandon. Elle ne se lavait pas. Les cheveux de la jeune fille étaient gras. Elle les portait longs exprès pour l'aspect crasseux qu'ils ne manquaient pas de lui donner. Le dimanche, à Rambouillet, elle brûlait avec soin tous les jolis vêtements que sa mère lui achetait. Un sourire triste, dans ce moment, ne quittait jamais son visage. Elle regardait la fumée monter entre les arbres et pensait que telle était sa vie. Elle rentrait ensuite à Paris, parfois dévorée de remords.

Le dimanche suivant la retrouvait pourtant au même endroit, aux mêmes occupations.

Elle revenait chez ses parents remplie de haine ou avec une grande faim pour les petits pains au lait que sa maman achetait au supermarché du quartier.

- Tu ne sais pas faire l'amour, dit-elle avec détachement.
- Eh… qu'est ce qui te fait dire ça ? Il y a quelques mois tu n'étais pas aussi exigeante!
- Je ne jouis pas. Je m'ennuie. N'y a-t-il vraiment que ça dans la vie ? Ce serait trop triste. J'ai presque envie de me tuer mais cela ne se fait pas et puis c'est fatiguant. Je préfère encore la fac.
Le jeune homme s'arrêta de bouger.
- Et puis tu m'as fait mal, continua-t-elle, sans s'apercevoir de rien.
- Pardon…
- Je t'avais dis de faire attention. La gynéco affirme que je refuse les hommes. Dingue non ?
Il étouffa un rire.
- Oui, elle ne sait pas ce qu'elle dit. Je crois plutôt que tu as les yeux plus gros que le ventre.
Estelle sembla un instant perdue dans sa rêverie. Edgar profita de cet instant de répit pour mettre sa chaussure droite.
- Il paraît que je vous déteste, vous les hommes. Alors mon corps vous rejette. Pfff ! ce qu'elle est chiante, cette gynéco ! Elle fait de la psychologie ! Elle mériterait que je la gifle ! N'empêche que tu m'as fais mal. Mon petit Edgar, si je n'étais pas là, qui coucherait avec toi ? Tu es moche comme un pou.
Le jeune homme s'assombrit, blessé.
- Arrête, dit-il.
- C'est vrai, ça. Tu te prends pour un grand bonhomme, mais j'ai bien compris ton petit jeu. Tu t'es dit, cette pauvre Estelle ne s'envoie pas encore en l'air et personne n'en veut car elle est à côté de la plaque. Et puis le papa académicien, ça c'est la cerise sur la gâteau. Tu es commun comme garçon. Mais moi je ne t'aime pas, je n'aime pas ton corps, je sors avec toi car je m'ennuie et car j'aime me dégoûter. Je suis servie. J'en ai jusqu'à la cinquantaine avec un garçon moche comme toi.
Il prit son manteau et se planta face à elle.
- Je m'en vais. Je n'aime pas te voir comme ça.
- Ah non, monsieur, ce serait trop facile.

Elle se leva brusquement et fit claquer la porte dont elle jeta la clef par la fenêtre entrouverte. Elle la ferma ensuite avec fracas, traversa à nouveau la pièce. Elle s'appuya nue contre la porte et se mit à écarter les jambes. Elle s'offrait à Edgar avec un rictus d'horreur et de plaisir. Il la regardait sans bouger, sentant le scandale monter en elle. Il détestait le scandale. Il détestait Estelle quant elle devenait ainsi. Il rêvait, comme tous les hommes, à ses pantoufles.

- Eh bien mon chéri ? que vas tu faire pour sortir ? Il va falloir y aller, Edgar, montre moi que tu es un homme. Tu vas me battre un peu, quand même ? On s'embête tellement…. Ca te ferai un tout petit peu plaisir ? Hein ? Au moins, on ferait quelque chose. On s'ennuie tellement. Je me dis qu'il faut remédier à cela. Je me donne un mal de chien. Tu ne peux pas dire que je ne fais pas d'efforts pour t'exciter.

- Je vais téléphoner à la réception. Rhabille-toi.
- Ce n'est pas du jeu.
- Habille-toi, ils vont monter. Va dans la salle de bain.
- Je te déteste. Tu n'as rien dans le ventre.
Lorsque elle revint dans la chambre, Edgar n'était plus là. Il avait laissé sur le lit un billet avec ces deux mots écrits dessus : "je t'aime".

Elle le déchira avec un soin maniaque puis le jeta dans les toilettes. Les petits bouts de papiers, alourdis par l'eau, tourbillonnèrent un instant puis coulèrent à pic.

Elle fuma et toussa.

23 heures s'affichèrent au cadran de sa montre.

Estelle sortit de l'hôtel et prit son téléphone portable. Elle avait un message d'Henry. Elle appela un taxi qui, en silence, la fit disparaître dans Paris. Elle regardait la ville défiler et pleurait sans bruit, le front collé contre la vitre.

Le bar du Georges V était plutôt bien rempli. La même faune y gravitait à heures fixes avec des habitudes de vieux garçon et des simagrées de petits chacals. Estelle y venait souvent et connaissait le serveur. Elle vit tout de suite Henry attablé au milieu d'un groupe d'hommes. On les remarquait facilement parmi les autres clients du bar. Cette provocation sans risque et gratuite leur plaisait beaucoup. Estelle les adorait. Elle pouvait les torturer tout son saoul et il se révoltaient si peu ! Ils ne mettaient jamais de coups, comme cet ouvrier avec lequel elle était sortie pour essayer le peuple. Il lui avait fait bleuir les bras à force de la frapper. Estelle aimait aussi ça, mais pas tous les jours.
Henry et ses amis étaient différents des hommes et de leur terrible orgueil. Ils étaient des petites chattes soucieuses de leurs griffes, de leur bronzage et de leurs scooters. Estelle adorait leur raconter ses histoires de fesses et rire d'Edgar avec eux. Estelle régnait sur cette coterie aux petits potins mesquins et aux pantalons moulants.

- Alors choupinette, que deviens tu, lui demanda Henry ?
- J'ai mal là où je pense.

Henry eut un rictus de dégoût, tout, dans la femme, lui semblait sale et compliqué. Il haïssait leur corps. Dès son enfance il les avait détesté. Il ne pouvait supporter leurs hanches, leurs seins. Estelle commanda deux Bloody Mary pour elle. Elle n'aimait pas du tout ce mélange, mais trouvait le nom mystérieux. Elle buvait avec une petite moue mécontente.

- Tu es toujours avec Edgar ? demanda Henri.
- En ce moment je ne suis qu'à toi.
- Quel sens de l'humour.
- Et bien oui. Edgar et moi allons nous marier. C'est amusant, non ?
- Pas tellement.
- Moi je trouve que si. Nous ne pourrons pas nous supporter et nous divorcerons au bout de trois ans. Alors je pourrai me plaindre des hommes avec un air entendu. Tu crois que je deviendrai lesbienne ?
- Pas besoin de tout ce cirque pour le faire. Et tes parents ?
- Mes parents sont des imbéciles. Ma mère est une petite conne et mon père ne pense qu'aux agrégations. Cela fait de lui une espèce de curé. Nous nageons dans les cathos.
- Voilà qui est sympathique en effet.
- Et toi Henry, comment va la vie ?
- Tu veux savoir avec qui je couche ?
- Peuh !
- Eh bien, avec beaucoup de monde. Les lycéens ne pensent qu'à ça. Un immense plaisir. Ils m'apportent le journal dans mon bain, puis nous le prenons ensemble en lisant les articles écrits le matin même par les parents de ces petits affranchis. Après je les prends, et ils en redemandent. La jeunesse est insatiable. Une mère m'a même téléphoné. Elle veut que son fils écrive un livre sur notre relation, cela s'appellera le Mausolée des Aimants. L'intrigue se déroule dans une usine de France Télécoms.
Et le travail ?
- Mon agence de pub va bien. Je vais aussi m'acheter un nouveau scooter.
- Passionnant !
- Un rouge. Je n'en avais pas de rouge.
- Incredible !
- A part ça rien d'autre.
- Rien ?
- Non.
Estelle but un autre Bloody Mary qu'elle avait commandé entre temps et elle fit mine de se lever. Elle en avait assez de cette atmosphère qui sentait le petit putois. Il lui fallait la franche odeur pourrie des boulevards.
- Tu t'en vas déjà ?
- Oui, je veux rentrer.
- Ne fais pas de bêtises.
- Ciao, chéri.
- Ciao, chouchoute ! Nous faisons une soirée bientôt avec Max, tu veux venir ? Il y aura tous les fous, comme d'habitude.
- Bien sur, Henry, bien sur…

Estelle sortit du bar comme une petite fille seule.

La foule était comme une grande famille dans laquelle personne ne se connaissait mais où tout le monde s'était déjà rencontré. Cela devait être bien ainsi. On devait y trouver du réconfort et même de la complicité. Estelle regarda un passant qui filait à bonne allure. Qui était-il ? Et puis elle pensa qu'il ne lui restait plus beaucoup de cigarettes. Elle prit à nouveau un taxi et alluma le chauffeur pour passer le temps. Lui pensait au Quinté Plus et ne supportait plus les parisiennes.


Le couloir de l'appartement des Louche était sombre et Estelle buta contre une table posée dans un coin du corridor. Elle lâcha une insulte et se mit à enlever ses chaussures. Une petite lumière, celle d'une lampe posée sur un guéridon à côté de la porte d'entrée, éclairait à peine l'appartement. Estelle détesta cette lumière si bien mise en évidence et qui devait lui éviter de trébucher dans le noir. Cette attention délicate lui sembla odieuse. Elle se détestait au point que toute attention envers elle la choquait.

Elle n'aimait que les coups et les crachats.

Quelque chose était cependant tombé de la petite table. Un bruit se fit entendre. Le président se leva en hâte, lui qui, toute les nuits, attendait sa fille sans dormir. Il éclaira en plein la lumière du couloir et s'approcha d'Estelle.

- Tout va bien ?
- Oui, j'ai juste trébuché. Retourne te coucher.
- Encore un vase par terre ! dit madame Louche qui, à la suite de son mari, s'était jetée dans le couloir. Tu pourrais faire attention !
- Bon ça va, vous n'allez pas en faire un plat !
- Ecoute Estelle, commença madame Louche.
- Non, espèce de sale p….
- Estelle ! cria son père.
- Sale p…
- C'est trop ! dit monsieur Louche, réduit à l'impuissance.
- Je te hais, sale conne, tu te crois tout permis avec moi, mais moi je ne t'aime pas. Tu entends ? Je n'en peux plus de te voir ici. Je te hais.

Estelle courut se réfugier dans sa chambre, fit claquer la porte. Elle ouvrit à fenêtre et se mit à fumer une cigarette. Elle la laissa tomber et se jeta en larmes sur son lit. Elle y sanglota longtemps avant de se calmer, de se déshabiller et d'entrer dans ses draps.

Madame Louche pleurait très doucement. Elle supportait mal la haine de sa fille, elle qui l'avait élevée avec douceur et bonté. Elle lui semblait si injuste. On avait changé sa fille. On l'avait dressée contre elle. Mais qui ? Estelle avait dix-neuf ans. Elle aurait du aimer ses parents. Même son père, elle ne l'aimait pas.

Elle profitait juste de sa faiblesse.

***
To be continued..... dans le chapitre 4, Saint-Sauveur et Delphine, devenue sa femme, sont de retour...